En dix ans d'expérience dans en e-commerce dans les métiers de la data et du marketing digital, j’ai vu beaucoup de choses changer dans l’écosystème. Mais ce qui est en train de se produire dans le monde du tracking est un changement sans commune mesure. Voici mon analyse.
Comment se différencie le marketing digital ?
Les cookies tiers sont à la base des métiers du marketing digital (qu’on appelle aussi “performance marketing” ou “growth”). C’est d’ailleurs cette technologie qui lui a permis depuis des années de se démarquer du marketing plus traditionnel.
La principal atout du marketing digital est qu’il permet de cibler des utilisateurs en fonction de leur centre d’intérêt et de leurs intentions d’achat. Là où le marketing traditionnel agissait principalement sur les placements pour cibler les utilisateurs (diffuser un spot publicitaire sur France 3 l’après-midi pour cibler les retraités, acheter un encart sur l'Équipe pour cibler les sportifs ; ou du moins les fans de sport etc.), le marketing digital se contente de donner ces critères de ciblage aux plateformes publicitaires. Celles-ci, (Google, Facebook, Criteo…) vont ensuite diffuser la publicité uniquement aux internautes qui correspondent aux critères demandés. Et ce, sur n'importe quel espace en ligne.
Cette caractéristique principale a une conséquence forte : une amélioration de la performance qui bénéficie directement aux annonceurs du fait d’une meilleure rentabilité. Mais cette meilleure rentabilité conduisant à davantage d’investissements, elle bénéficie également indirectement à tout l'écosystème dont les plateformes et les éditeurs en premier lieu.
Dans un certain sens, elle bénéficie à l’internaute lui-même qui se voit proposer des publicités ciblées et donc plus intéressantes pour lui. Je préfère pour ma part me faire recommander le tout dernier vélo que le dernier jeu vidéo !
Le tracking web à la base des performances du marketing digital
Pour comprendre pourquoi la fin des cookies tiers est en train de bouleverser ces performances et l’écosystème, il faut d’abord comprendre techniquement comment fonctionne jusqu’à présent le tracking sur le web.
Grâce à l’injection de scripts dans le code du site internet par l’annonceur, les plateformes sont capables de poser et de lire des cookies appelés cookies tiers ou cookies third-party (car ces derniers ne sont pas posés par le site internet visité mais une tierce partie externe). Ces cookies vont jouer le rôle d’identifiant qui va vous suivre sur l’ensemble de votre navigation sur internet et va donc permettre un tracking qu’on appelle cross-site.
Quand vous arrivez sur le site de contenu d’un éditeur, ces plateformes qui sont chargées de diffuser de la publicité en savent donc beaucoup sur l’utilisateur que vous êtes. Par exemple :
- Est-ce que vous avez déjà visité le site pour lequel on va vous afficher de la publicité ? (Retargeting)
- Est-ce que vous avez déjà manifesté une intention d’achat pour un produit similaire ? (Custom Intent)
- Est-ce que vous vous comportez de la même manière que d’autres qui ont acheté avant vous ? Ou alors est-ce que vous leur ressemblez sur certains critères ? (Lookalike)
- Est-ce que vous avez des centres d’intérêts utiles pour l’annonceur ? (Interests)
Tout ceci est basé sur une compétence principale : être capable d’identifier les utilisateurs de manière cross-site. Autrement dit, il faut être capable de savoir que l’utilisateur à qui vous allez montrer une publicité est le même que celui qui a effectué certaines actions auparavant (visite d’un site internet, recherche sur Google etc.).
La base du bouleversement : les utilisateurs ne veulent plus être traqués à leur insu
Comme les utilisateurs ont commencé à comprendre ce qu’il se passait dans leur dos, ils ont commencé à exprimer leur choix de ne pas être suivi partout.
Ils ont commencé (pour les plus motivés d’entre eux) à installer des adblockers, puis la législation (notamment européenne) s’est emparée du problème (avec ePrivacy et la RGPD). La pose de cookies tiers publicitaires est devenue en 2020 conditionnée au consentement de l’utilisateur (ce sont les fameux bandeau que tout le monde à pu voir apparaître en bas des sites internet) et les règles sur le partage des données personnelles ont été durcies. Puis les navigateurs web se sont également emparés du sujet. Parce qu’ils ne veulent pas être tenu complices de certains sites ne respectant pas la loi et parce que les utilisateurs finaux le demandaient, ils ont donc eux-mêmes décidé de limiter les cookies tiers.
Depuis 2021, Safari et Firefox limitent la durée de vie des cookies tiers (à 24h sauf dans certains cas). Et Chrome a annoncé la fin pure et simple des cookies tiers sur son navigateur pour l’été 2024 (avec une phase de tests qui a commencé début 2024 pour 1% des utilisateurs).
Conséquence en chaîne : les plateformes ne sont plus capables de traquer simplement les utilisateurs sur différents sites (et le seront bientôt encore moins). Elles ne sont donc plus capables de reconnaître simplement un utilisateur à qui elles affichent de la publicité et on peut donc s’attendre à une baisse de la performance du marketing en ligne comparé au marketing plus traditionnel.
Que va-t-il se passer ?
Différents scénarios sont possibles.
En théorie, on peut s’attendre à une baisse de la performance à court terme qui va entraîner une baisse des budgets publicitaires en ligne (via notamment une baisse des enchères sur des plateformes qui délivrent moins de performances). Potentiellement les budgets vont être réalloués vers du marketing plus traditionnel, des campagnes de rétention ou de l’expérience client au sens plus large.
En pratique, c’est sans compter sur l’ingéniosité des plateformes publicitaires qui sont en train de développer de nouvelles techniques afin de continuer à traquer les utilisateurs, le tout légalement et parfois dans le dos des navigateurs.
Parmi elles, on peut citer le tracking server-side, qui permet aux annonceurs de directement remonter la donnée aux plateformes publicitaires sans passer par du tracking web third party et donc par des cookies tiers.
Ou encore Privacy Sandbox (que développe Google pour pouvoir continuer à montrer à un utilisateur des publicités ciblées (liées à ses centres d’intérêts et ses intentions d’achat), sans pour autant avoir à le traquer de manière individuelle.
Si vous voulez en savoir plus sur ces deux initiatives, n'hésitez pas à me le mentionner dans les commentaires.
Et vous, comment pensez-vous que cet écosystème va évoluer ?